Regard sur les jeux coopératifs : Annick Lobet
Lorsqu'Annick Lobet nous parle de son regard sur les jeux coopératifs, on est loin de la logique marchande, et plus près d'une envie de changer le monde et nos...
Lors d’une interview au Salon Canopée, Julien Prothière et Antonin Boccara partagent leurs parcours en tant que créateurs de jeux coopératifs. Ces deux auteurs de jeux de société ont développé un intérêt pour les jeux coopératifs en raison de leur potentiel à favoriser l’interaction sociale et l’engagement collectif. Prothière a utilisé le jeu comme outil de médiation sociale, tandis que Boccara, issu du théâtre, apprécie le fait que le jeu permet une création sans mise en avant personnelle. Les deux auteurs expliquent leur intérêt pour les jeux coopératifs et discutent des mécaniques qui favorisent la coopération tout en évitant les dynamiques de leader. Ils expriment aussi leur réticence envers la “starification” et les “serious games”, insistant sur l’importance du plaisir et de la liberté dans l’expérience ludique.
JP : Je suis animateur socio-culturel de formation, j’ai été animateur du public ado pendant 15 ans et j’ai utilisé le jeu comme outil de médiation sociale dans le sens ou je trouvais que le jeu était une occasion pour les jeunes de se mettre dans une posture un peu plus égalitaire vis-à-vis de l’adulte, où ils pouvaient prendre des responsabilités tout en restant dans une posture égalitaire les uns avec les autres, tout un tas de chose qui me paraissaient essentielles pour entrer en lien avec ce public et à un moment donné, dans cet exercice-là, j’ai eu une idée de jeu et j’y ai pris goût donc j’ai renouvelé l’expérience. C’est plus un accident de parcours qu’un projet planifié : j’ai une idée, je la suis, puis je me prends au jeu. Mon premier jeu était un jeu coopératif, les autres aussi, même si je ne souhaite pas m’interdire les jeux compétitifs. C’est juste que ce qui m’intéresse en tant qu’auteur est aussi ce qui m’intéresse en tant qu’animateur à savoir comment les gens interagissent entre eux, sont en relation et j’aime dans le coop le fait que pour gagner le jeu on doive penser que l’autre va nous aider, est intelligent, à une façon de penser qu’il faut comprendre. C’est une manière de vivre ensemble qui me plait beaucoup et qui rejoint aussi mes valeurs d’éducation populaire.
AB : Je n’ai pas non plus voulu être auteur de jeux, par contre j’ai toujours joué énormément, et joué au sens large pas uniquement à des jeux de société. J’adore d’ailleurs que dans la langue française le mot jeu s’emploie pour plein de choses : jouer de la guitare, jouer du théâtre, jouer à un sport… En fait j’avais une sensibilité très forte aux jeux et à un moment je suis allé plus vers le jeu de société : à une période de ma vie, j’habitais seul chez moi et j’invitais des amis pour jouer et je me suis rendu compte que c’était un domaine dans lequel il y avait une ouverture immense que je n’avais pas encore vu, un peu comme la porte de Narnia : j’ouvre une porte et je vois tout ça ! Je me suis dit c’est génial ! Et en plus je venais plutôt du milieu du théâtre, de la chanson et je sentais moins d’égo dans le monde du jeu, même s’il y en a. Par exemple, on dit peu « j’ai acheté le dernier Prothière », on parle plus de l’œuvre directement quand au théâtre ou en concert on va voir quelqu’un directement. Moi j’aime bien cette idée, de créer sans être obligé d’âtre au premier plan et c’est la différence entre reconnaissance et médiatisation, starification. Si je fais du théâtre ou que je chante je serai au premier plan, dans le jeu pas vraiment et ça permet notamment d’avoir des avis plus sincères sur les créations. Le public ne sait parfois pas que je suis l’auteur et n’hésite pas à me dire ce qui a pu le gêner dans le jeu. Ça c’est fat comme ça, j’ai essayé de créer au départ ça n’a pas marché, j’ai recommencé… L’autre avantage c’est que le cinéma par exemple est un art qui coute cher alors que tout le monde peut créer des jeux.
Au début je ne créais pas de jeux coopératifs, non pas parce que je ne les aimais pas mais parce que je trouvais ça trop dur à faire, pour moi c’était tellement intéressant et beau et souvent mal fait, c’est-à-dire qu’aujourd’hui c’est mieux fait
J’avais même fait une conférence un peu provocatrice un jour sur comment faire du coopératif sans dissoudre l’individu, c’est-à-dire que l’armée se présente avec un esprit de coopération mais en fait c’est un leader qui décide pour tout le monde. Je tiens tellement au coop que j’estimais que je n’étais pas encore prêt pour faire du bon coop. Aujourd’hui c’est ce que je fais surtout et ce qui m’intéresse c’est que l’enjeu ne passe pas avant le jeu. Et de même dans un jeu compétitif, si la compétition ne passe pas au premier plan, cela ne me gêne absolument pas mais il se trouve que souvent la compétition fait passer le gain en premier plan. Ma réflexion s’est presque inversée : pas simple non plus de faire un bon jeu compétitif !
JP : J’ai envie d’aller chercher dans le coopétitif, Théo Rivière a explorer ceci : des moments de jeu dans lesquels les joueurs peuvent choisir, un peu comme dans la vie, de naviguer entre coop et compet, entre l’intérêt pour soi et l’intérêt pour les autres.
AB : Le par équipe permet aussi de varier les modalités d’alliance et d’opposition
AB : spécifiquement je ne pense pas, mais certaines marchent très bien en coop : comme la communication non verbale que j’aime beaucoup
JP : j’ai l’impression qu’on parle souvent de coopération comme d’une mécanique en soi, et en réalité les derniers coop qui ont vraiment marché tel the Crew qui renouvelle le tarot montrent qu’il y a plein de manière de voir un système de jeu avec une vision coopérative, en transformant la manière d’appréhender les choses. Pour moi il n’y pas de mécaniques proprement coopératives mais tout un tas de possible. Evidemment certaines marchent particulièrement bien, notamment pour gommer l’effet leader : la communication restreinte, le timing, l’information cachée, l’asymétrie entre les joueurs deux trois notions que je veux garder à chaque fois pour ne pas tomber dans l’effet leader
Le truc principal pour un auteur ou une personne qui veut créer un jeu coop c’est avoir en tête d’annuler ou plutôt partager l’effet leader. Comment faire en sorte que quelqu’un qui n’a pas l’habitude de prendre le lead puisse le faire ? Et qu’aucun leader suprême ne guide les autres tout au long de la partie.
AB : Moi je ne pourrai pas te dire un jeu préféré, et cela rejoint une réflexion primordiale aujourd’hui dans l’univers ludique : la question du préféré. Je suis contre les prix dans l’univers ludique et je suis pour des prix semis coop ça veut dire quoi : je trouve intéressant de donner une sélection mais dire que des jeux sont les meilleurs cela me gène et de la même manière qu’on réfléchi aux règles dans les jeux on pourrait réfléchir aux règles d’attribution des prix. Je peux faire une sélection je suis un grand fan de Queek (pas coop), Code Names m’a beaucoup parlé et Top Ten
JP : Avant quand j’achetais un jeu je disais « ce jeu j’ai adoré y joué, je l’achète et je vais jouer avec les gens que j’aime et ça va être trop cool », par exemple Magic Maze, j’ai eu un immense enthousiasme avec ce jeu là et je l’ai amené à la maison et mes enfants m’ont dit Oh, non c’est trop speed, je ne veux plus jouer ça me stresse. Je n’y ai plus joué et je l’ai revendu un an et demi plus tard. Ce que je pense être le meilleur jeu dépend de la personne avec qui je vais jouer, le jeu est un support pour une partie. Le moment fort c’est la partie pas le jeu et cela me plait de chercher quel jeu pourrait être enthousiasmant à jouer avec qui.
AB : Ma première partie avec Romarik et Cécile : on ne se connaissait pas et on a gagné le level 12 à The Mind du premier coup ! Une partie de Lou Garou qui est mémorable, la veille au soir de la naissance de ma fille, l’animateur a été ce soir là incroyable. Puis à la mort de ce monsieur là j’ai joué à Hanabi un soir de deuil et c’est la seule fois où j’ai fait 25 points. Ce sont des jeux qui me restent en tête comme des vécus, jouer c’est faire société.
CS : Notre expo s’appelle faire société par le jeu…
JP : C’est un moyen magnifique le jeu pour cela, jouer c’est s’engager c’est remettre les gens en lien, aujourd’hui on est au prises avec les écrans notamment et dans les « jeux vidéo », il n’y a pas « société » parce qu’on ne le fait pas de la même manière. Dans les jeux coopératifs ou d’ambiance (que je distingue des party games et donc pas dans les jeux où je joue seul face à mon score) on se rassemble, personne n’est spectateur et cela n’est pas un trait courant et cela revêt une importance vitale aujourd’hui
JP : faire société c’est ce que je souhaite provoquer dans mes jeux, je cherche à faire des jeux qui posent cette question-là. C’est pour cela que j’aime bien la production d’Antonin : ses jeux sont très vivants, quand je joue à un jeu d’Antonin, je vois de la vie qui déborde de partout.
AB : oui on s’inspire particulièrement mutuellement, même si on fait des choses très différentes, on répond à la même quête : chercher à dérouter plutôt que de faire des jeux bien huilés. J’aime quand ça transpire la vie en effet. En ce moment je dis que je fais une sorte de régression où je souhaite faire des jeux pour enfant car je me sens en lien avec eux, et avec l’enfant en moi et que ce truc que j’ai vécu j’ai parfois envie de le mettre en scène, partager des tranches de vie là, que ça marche ou pas commercialement c’est alors secondaire.
JP : Mon dernier jeu c’est story box et c’est marrant car ce n’est pas que mon dernier jeu mais aussi une réédition de Dream On sorti il y a quelques années, et auquel je suis très heureux que l’on donne une deuxième chance car c’est un jeu auquel je crois beaucoup, je trouve qu’il est exactement dans ce qu’on a décrit : donner de la vie à un groupe, et je suis ravi de mon nouvel éditeur. Ce jeu là il faut le jouer pour savoir ce que c’est, bien au-delà du pitch.
AB : Moi c’est la Fabrique à Rêves, un jeu coopératif aussi en collaboration avec Romaric Galonnier avec qui l’association marche bien, chez un éditeur soutenant avec qui on a fait un très bon travail, très en phase avec le thème… On a ajouté un jeu à la fin du jeu, on a créé une chanson pour le jeu ; le développement a été un très bon moment.
JP : Je trouve qu’on a tendance à trop cloisonner les choses, à dire ce qui est sérieux, ce qui ne l’est pas à mettre dans des cases exclusives, a dire ce que les jeux doivent être ou pas. Moi je m’en fous un peu, la question est plus d e la faire en confiance avec des personnes outillées pour ça. Kosmopolit est un projet de serious games au départ, puis il a été édité et il a bien marché et démontre que la barrière n’a pas beaucoup d’intérêt. Ensuite je vois beaucoup de jeux éducatifs ou dit « serious » qui manquent un peu d’une mécanique originale qui sert le propos, en utilisant des cadres très codifiés et connus issus de nos jeux d’enfants, pas toujours très réfléchis en terme de pratique ludique, mais comme ces mécaniques se manipulent, je ne doute pas que l’on progresse et avance au fil du temps et à travers ces premières expériences de tâtonnements ludique.
AB : Moi je ne parle pas anglais donc je ne sais pas ce que ça veut dire
JP : Les gens qui disent serious games c’est des gens qui disent ben on va faire un jeu pour faire du temp building
AB : D’accord, ok alors en ce sens là, je rejoins ce que dis Julien, c’est uns distinction, un sémantique pour se faire mousser, mais le jeu c’est pour faire société donc pas là peine de dire si ça doit etre sérieux ou pas, serious games c’est juste un argument commercial, et peut-être avec une dimension de manipulation si on oublie que le jeu est par définition un acte volontaire et c’est important de se rappeler que si t’as plus envie de jouer alors arpete toi
JP : Heu alors-moi si t’as plus envie t’arrêtes, je ne le dirais pas à des enfants, car je joue avec les enfants je dis aussi que quand on commence alors on va au bout c’est aussi un contrat. On peut arrêter mais ça dépend de la raison : est ce qu’on se sent mal ? Est-ce qu’on s’ennuie ? Par exemple : je fais jouer à puzzle aventure dans ma classe et on modifie le puzzle aventure pour que ça soit le Petit Prince. Si je donne un cours sur le Petit Prince et que je fais jouer au jeu, le rapport au jeu des élèves est légèrement biaisé.
Si je te dis viens on joue pour jouer ou si je te dis viens on joue parce qu’on va travailler cette compétence, on modifie le contexte. L’objet est le même mais le vécu est différent. Il faut faire attention car on peut passer à côté du jeu en créant un angle.
Dans mon jeu Fil Rouge, le point de départ de la création c’est de susciter des émotions et je l’ai récemment présenté et je me suis rendu compte que je le faisais mal car j’y mettais trop d’intentionnalité.
AB : Oui, je l’avais dékà vu ça, je n’avais pas réussi à te le dire mais je l’avais déjà vu
JP : Ok, et alors le gens m’ont dit être déçus et même légèrement fautifs si ils ne ressentent pas les émotions comme je leur ai dit. Ça casse un peu la magie du jeu que de raconter l’expérience qu’on doit y vivre.
AB : Alors que si je te dis va y et tu découvres c’est totalement différent
JP : Raconter l’expérience de jeu est utile quand on veut convaincre les commerciaux mais n’est pas adapté pour les joueurs et pour rejoindre les serious games, dire qu’on va faire un serious games c’est déjà biaiser l’expérience. Ça peut bien se passer quand même
AC : J’ai joué à Totem avec mon équipe et ça a très bien marché alors qu’on était dans une intention de team building clairement annoncée
JP : Tout à fait on est dans un autre cas, ce n’est ni bien ni mal, c’est autre chose. Et on peut aussi tout à fait faire jouer et après le jeu expliquer la motivation a l’avoir créé.
AC : Et même dans la création c’est intéressant : dans le cinéma, dans l’art… parfois le spectateur n’a pas la place pour se faire sa propre idée, si c’est trop lisse on peut se sentir pris en otage et guidé par l’œuvre dans l’avis qu’on doit s’en faire. Je préfère les œuvres qui amènent des questions plutôt que des réponses.
Julien Prothière est l’auteur des jeux coopératifs suivants : Kreus, Dream On, Ronchonchon, Kosmopolit, Roméo et Juliette, La Marche du Crabe, Précognition, Fil Rouge, Story Box
Antonin Boccara est l’auteur des jeux coopératifs suivants : Panic Island, Little Panic Island, Par Odin, Fiesta de los Muertos, Complices, Mysterium Kids, Focus, Mon puzzle aventures, La Fabrique à Rêves
Propos recueillis par Claire Servel et retranscrits par Chloé di Cintio
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