Vollegg un sport coopératif

Pierre Parlebas et les jeux coopératifs : entre clarification théorique et portée éducative

Depuis plusieurs décennies, les jeux coopératifs se sont imposés comme un concept central dans les milieux éducatifs et ludiques. Pourtant, ce terme reste rarement défini avec rigueur. 

Pierre Parlebas, sociologue reconnu dans l’étude des pratiques physiques et sportives, offre une analyse précise et approfondie qui éclaire la nature de ces jeux et leur rôle essentiel au sein de l’univers du jeu.

La notion de jeux coopératifs a largement circulé dans les milieux éducatifs et ludiques depuis plusieurs décennies, au point de devenir un terme à la mode, souvent invoqué mais rarement défini avec précision. Pierre Parlebas, sociologue et chercheur majeur dans le champ des pratiques physiques et sportives, propose un cadre rigoureux pour comprendre ce que sont réellement ces jeux et quelle place ils occupent dans l’univers ludique.

Redéfinir le flou terminologique

Face à la prolifération d’expressions comme jeux collaboratifs, solidaires, semi-coopératifs, Parlebas appelle à une clarification essentielle. Selon lui, cette avalanche de terminologies masque un véritable flou théorique. Il est nécessaire de dépasser les approximations langagières pour identifier les traits spécifiques qui distinguent les jeux coopératifs des autres formes de jeux moteurs. L’objectif est de dégager une définition stable et opératoire, capable de désigner sans ambiguïté une catégorie de pratiques.

Parlebas propose ainsi une définition rigoureuse : un jeu coopératif est une épreuve motrice de divertissement dans laquelle toute opposition corporelle est exclue, où les interactions motrices reposent sur la solidarité, et dont l’objectif, défini au préalable, ne peut être atteint que collectivement. Aucun score individuel, aucun vainqueur, aucune hiérarchie ne viennent sanctionner l’activité : soit tout le groupe réussit, soit tout le groupe échoue.

Un cadre théorique structurant : logique interne et coopération

Ce qui rend cette définition solide, c’est l’ancrage dans la théorie de la logique interne des jeux, chère à Parlebas. Chaque jeu repose sur un ensemble de règles qui structurent les types d’interactions possibles : coopération, opposition, ambiguïté. Or, rappelle-t-il, même les jeux d’opposition, comme le rugby ou la boxe, reposent sur un contrat initial de coopération : les participants acceptent volontairement de se soumettre à un cadre commun. Il ne suffit donc pas que des joueurs coopèrent pour que le jeu soit qualifié de coopératif. La coopération comme valeur morale ou intention éducative ne suffit pas à définir un jeu coopératif au sens praxéologique : seule compte la nature des interactions motrices imposées par le règlement.

Par conséquent, beaucoup d’activités présentées comme coopératives sont en réalité des quasi-jeux, des formes ludiques sans règles strictes ni sanction formelle, ou des jeux partiels, simples divertissements (play) qui relèvent plus de la liberté expressive que d’un système ludique structuré. Jongler ensemble, porter un camarade ou faire des pyramides humaines peut relever de la coopération sans que cela constitue un jeu, si les contraintes de temps, d’espace ou de résultat collectif ne sont pas précisément définies.

Les jeux coopératifs : marginalisés, mais historiquement attestés

Si les jeux coopératifs apparaissent aujourd’hui comme minoritaires, souvent cantonnés aux marges pédagogiques ou aux pratiques d’animation, ils ont pourtant occupé historiquement une place bien plus importante. Parlebas rappelle qu’à l’époque moderne, notamment aux XVIᵉ et XVIIᵉ siècles, un tiers des jeux représentés dans les iconographies ludiques relevaient de formes coopératives, un autre tiers était ambivalent, et seul le dernier tiers s’inscrivait dans une logique compétitive.

Dans les sociétés traditionnelles, cette prédominance des jeux de coopération est encore plus frappante. Des anthropologues comme Descola, Diamond ou Duverger ont montré que dans de nombreuses cultures, les jeux compétitifs sont rares, voire absents, car ils introduisent des divisions sociales contraires aux logiques communautaires. À l’inverse, les jeux coopératifs renforcent la solidarité interne, permettent l’intégration de chacun, et expriment une autre conception du lien social.

Aujourd’hui, bien que moins visibles, ces jeux subsistent dans de nombreuses pratiques informelles : sur les plages, dans les cours de récréation, lors des colonies de vacances ou dans les activités de team building. Le beach-ball, le badminton joué sans compter les points, le jokari ou le volley-ball où l’on cherche à maintenir la balle en l’air forment des exemples contemporains de jeux où l’échange prévaut sur le score. La société de consommation l’a bien compris : les rayons des magasins regorgent de jeux ou d’accessoires invitant à l’interaction solidaire.

Une portée éducative et sociale essentielle

Si les jeux coopératifs ont souvent été qualifiés d’artificiels, notamment lorsqu’ils sont conçus à des fins éducatives, cette vision réductrice passe à côté de leur richesse propre. Loin d’être des « pseudo-jeux » déconnectés de la tradition ludique, ils offrent une alternative crédible et précieuse aux logiques de compétition dominante. Leur intérêt est d’autant plus fort qu’ils permettent de valoriser des formes d’intelligence collective, de renforcer la communication motrice et de favoriser l’inclusion.

Leur potentiel éducatif est immense : ils invitent à « se rencontrer sans s’opposer », à « se dépenser autrement qu’aux dépens », pour reprendre les termes du texte. En cela, ils rejoignent les réflexions de Marcel Mauss sur la mutualité, l’alliance, et ce qu’il appelait le « roc » des relations humaines : cette base commune de solidarité qui fonde toute vie sociale. Le jeu coopératif devient alors plus qu’un simple divertissement : un acte symbolique qui exprime, dans le corps et le mouvement, un idéal de relation non violente et de réussite partagée.

Conclusion : une redéfinition indispensable pour une reconnaissance pleine

Les apports de Pierre Parlebas permettent ainsi de redonner aux jeux coopératifs une place légitime, fondée sur des critères clairs et une tradition historique souvent méconnue. Loin des caricatures d’outils éducatifs sans saveur, ils forment une catégorie ludique à part entière, dotée de sa propre logique interne, de ses propres formes, et d’une richesse sociale incontestable. En redéfinissant rigoureusement ces jeux, Parlebas ne se contente pas d’un exercice théorique : il contribue à rééquilibrer notre regard sur le jeu et à envisager d’autres manières de jouer ensemble, dans un monde où la coopération n’est pas toujours la norme, mais où elle demeure une nécessité.

Chloé di Cintio, le 30 Juin 2025

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