Regard sur les jeux coopératifs : Annick Lobet
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L’apprentissage – de l’Antiquité1[1] à nos jours – a souvent été associé à la souffrance, à la pression constante, aux injonctions voire à la menace de sanctions. « No pain, no gain » disent les Anglo-Saxons.
L’histoire de l’éducation et notre histoire personnelle tendent à nous présenter la souffrance comme ingrédient nécessaire à tout apprentissage. Forts de cette croyance et de nos bonnes intentions, nous proposons ensuite ce modèle à nos enfants.
Pourtant, le jeu recèle de puissantes vertus pédagogiques. Dans le jeu, les erreurs sont considérées comme des phases « normales » du jeu et non comme des « fautes » sanctionnées.
Il y a de fait un malentendu gigantesque entre le monde de l’enfant d’une part qui jusque là s’est construit en jouant et d’autre part, le monde de l’adulte qui estime trop souvent qu’il n’y a de travail réel, que dans la souffrance et le cérébral pur.
Or, tant que l’adulte n’est pas trop intervenu, c’est par le jeu que l’enfant a appris et apprend de manière fulgurante, construisant « le je » !
Le jeu fait de l’enfant un acteur ce qui le rend ipso facto détendu, passionné et responsable de son apprentissage. Le stress est donc par là même, exclu. Et qu’il y a-t’il donc de plus noble comme « travail » que la construction de l’être ?
Malheureusement ces deux mondes s’affrontent trop souvent sans se comprendre.
« La notion d’apprentissage est couramment abordée sous l’angle cognitif, laissant de côté l’aspect émotionnel et le plaisir d’apprendre »[2]. Pourtant, les émotions sont au cœur des apprentissages : agréables, elles incitent à poursuivre un engagement et à atteindre un but. Désagréables, elles poussent à se désengager.
Le plaisir de la responsabilisation et l’engagement à long terme sont donc principalement liés à la satisfaction et au plaisir qu’éprouve un individu dans l’exercice d’une pratique. Dans le cadre scolaire, ce lien entre plaisir et apprentissage est une relation paradoxale, encore trop souvent problématique. La tendance dominante considère toujours le plaisir comme suspect, bien loin des valeurs de sérieux, de travail et d’effort classiquement véhiculées par l’institution. Lorsqu’elle intègre la dimension plaisir, c’est comme « plaisir d’accomplissement », de maîtrise d’une compétence compatible avec le dogme de l’efficacité qui justifie les pressions culturelles et politiques. Or, il existe bien d’autres plaisirs.
Les sources de plaisir sont multiples, mais on peut les regrouper en trois catégories[3] :
« Ces trois sources de satisfaction alimentent de manière simultanée la motivation des individus. »[4]
« Ce qui frappe le plus quand on observe les apprentissages naturels, qui concernent peut-être 90% […] des connaissances que nous utilisons […], c’est leur caractère parfaitement spontané, on pourrait presque dire non volontaire »[5].
Un enfant, élevé parmi d’autres humains est donc naturellement appelé à se développer, physiquement, émotionnellement et intellectuellement. Apprendre est aussi naturel que le fait de téter, de manger, de marcher ou d’apprendre à courir : il faut le souligner, ce sont des plaisirs physiologiques naturels.
En ne diversifiant pas les aliments proposés aux enfants, on hypothèque la construction des plaisirs gustatifs. De même, en se cantonnant dans une démarche « seulement cérébrale », on prive les enfants du plaisir de l’apprentissage lié à celui de la découverte. « L’apprentissage est un bonheur tant que l’on ne l’a pas démoli : c’est un profond bouleversement de l’être, une joie intense, une jubilation »[6].
Goldstein[7] a établi un rapport direct entre le sourire de l’enfant et son développement intellectuel. Le plaisir permet à l’enfant de repérer la présence d’un élément nouveau, support de l’apprentissage : ce n’est pas un simple adjuvant, mais avant tout un indicateur.
Les neurosciences affirment que le processus complexe d’acquisition s’appuie également sur l’utilisation de nos sens et le mouvement. Solliciter nos sens développe la formation d’une multitude de circuits neuronaux lieu de stockage des informations.
Quant au mouvement, il est fondamental car 50% de l’activité des fibres nerveuses consiste à transmettre au cerveau les informations reçues par l’ensemble du corps. Les sens et le mouvement soutiennent les processus d’apprentissage : le corps entier est intelligent[8]. fondée sur la Gestalttheorie
Il reste encore à souligner que le stress altère grandement l’apprentissage. Selon un processus primitif, appelé « le réflexe combat-fuite », le stress préparait l’organisme à répondre à une situation de survie de nos lointains ancêtres. Or aujourd’hui, un stress d’apprentissage n’est plus un problème de survie, le drame étant que notre cerveau n’en fait pas la distinction et fonctionne toujours en réflexe de survie, expulsant le sang du cerveau pour irriguer les bras (pour le combat) et les jambes (pour la fuite) etc., ce qui provoque des troubles de l’attention et aboutit à la formation de réseaux neuronaux dysfonctionnant[9].
Sachant que chacun-e a une approche de l’apprentissage qui lui est individuelle, le plaisir nous pousse néanmoins à nous développer dans toutes les dimensions de notre être et jouer pour apprendre est ce qu’il y a de plus « sérieux » pour l’enfant !
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[1] H.I. MARROU, Histoire de l’éducation dans l’antiquité. Ed. du seuil. Paris, 1948.
[2] Dania Ramirez, psychologue, in Vies à Vies, Bulletin du Service d’orientation et de consultation psychologique, vol.10, numéro 3, Janvier 1998.
[3] Durand, M., L’enfant et le sport. Paris, PUF, 1987.
[4] Didier Délignières, in « Plaisir, apprentissage et culture »
[5] Michel Lobrot professeur émérite à Paris 8, auteur notamment de La pédagogie institutionnelle, 1966 in Le plaisir, condition de l’apprentissage.
[6] Cécile Regimbeau, créatrice des jeux d’apprentissage de la lecture : « Les Phrases Rigolotes » et « La Farandole » des Mots”, Millau Sesame Editions, 2007.
[7] Kurt Goldtein, neurologiste et psychiatre Allemand, il est à l’origine d’une théorie globale de l’organisme
[8] Dr. Maria Katsiou Zafrana, professeur de psychologie à l’université d’Athènes, in « Neuropsychologie et éducation », article paru dans l’YX, bulletin n°3 du RYE (Recherche sur le yoga dans l’éducation), Janvier 1999
[9] ibid.
Chloé di Cintio
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